Josh Fox : « Aux Etats-Unis, le débat sur la transition énergétique a enfin lieu »

En 2010, le film documentaire Gasland (diffusé sur Arte en juillet 2013) révélait les inquiétudes des citoyens américains confrontés à l’exploitation du gaz de schiste à quelques mètres de leur maison, mettant en péril l’eau, l’air et l’environnement. Le 4 septembre, les eurodéputés Verts/ALE ont invité son réalisateur, Josh Fox, à présenter en avant-première son deuxième film qui poursuit l’enquête sur ces énergies non-conventionnelles dans les plus hautes sphères du pouvoir. Rencontre au Parlement européen de Bruxelles.
Au Parlement européen, nous tentons de démontrer les dangers pour l’environnement et la santé du gaz de schiste et de la fracturation hydraulique avant le début des exploitations. Votre expérience aux Etats-Unis peut-elle nous aider, nous Européens, à interdire cette technique ?

J’habite en Pennsylvanie sur la côte Est des Etats-Unis. Comme vous, nous nous sommes retrouvés face à la problématique du gaz de schiste plusieurs années après le début des exploitations dans le Colorado, le Wyoming, le Texas. Ce sont les habitants de ces Etats que nous avons rencontrés et qui apparaissent dans le film Gasland. Et leurs expériences nous ont été très précieuses. Dire non au gaz de schiste et à l’industrie gazière et pétrolière, je vous préviens, quand on s’engage dans cette voie, ça chamboule toute votre vie. C’est dur, stressant. Mais en même temps, il s’agit aussi de s’impliquer sur un territoire ou une ville… et donc faire vivre cette communauté et l’exercice de la démocratie à l’échelle de la communauté. C’est ainsi que tous les citoyens, français ou américains, nous pouvons arrêter les exploitations, les faire interdire, en militant ensemble, avec enthousiasme. Il faut reconnaître que c’est une expérience individuelle extraordinaire de faire face à cette crise collectivement.

L’opinion publique s’empare-t-elle du débat sur la transition énergétique aux Etats-Unis ?

Tout ce pétrole, tout ce gaz dont nous avons bénéficié si facilement pendant des années, c’est terminé. Les industries veulent pourtant poursuivre leur logique en exploitant des énergies « extrêmes » difficiles à extraire, grâce à la fracturation hydraulique, le « mountain top removal mining » (littéralement, mine à déplacement de sommet), les schistes bitumineux, les exploitations pétrolières en mer… bref, les méthodes les plus destructrices et coûteuses pour atteindre les dernières gouttes de pétrole. Mais nous pourrions aussi nous orienter vers les énergies renouvelables… de façon à ne pas détruire notre environnement et nos paysages, et ralentir le changement climatique. Mais ce choix-là, c’est maintenant qu’il faut le faire.

Je suis optimiste. Les industries pétrolières ne sont plus, comme avant, implantées uniquement dans certains Etats riches en pétrole. Désormais, tous les Américains sont concernés et s’interrogent, et c’est grâce à cela que le débat public a enfin lieu sur la question de nos choix énergétiques. Grâce à Gasland, nous sommes allés dans tous les Etats, les plus conservateurs comme les plus démocrates, présenter notre film à des centaines, parfois des milliers de personnes, qui ont pris conscience du danger du gaz de schiste. C’est ce qui se passe quand vous envahissez leur pays.

Vos manifestations en France ont inspiré pas mal de militants dans l’Etat de New York quand la question du gaz de schiste s’est posée. Nous, en Pennsylvanie, nous avons été en contact avec des personnes en Afrique du Sud… et c’est comme cela que nous allons changer notre vision du monde. La résistance est aussi planétaire. Après cinq années de travail sur ce sujet, je pense sincèrement que nous sommes prêts à renoncer aux énergies fossiles et reconsidérer notre addiction à ces énergies. Nous sommes à ce moment de l’histoire où le monde entier va devoir enclencher une transition énergétique. Aux Etats-Unis, en Belgique, en Afrique du Sud, en Asie…

En 2013, face à la mobilisation citoyenne, la nouvelle assemblée de l’Etat de New York a adopté un moratoire de deux ans sur la fracturation, pour protéger sa ressource en eau. Mais c’est le seul endroit où une étude d’impact environnemental a été réalisée et ces résultats ont permis aux New-yorkais de faire le bon choix… Plus ils en apprenaient sur le gaz de schiste, moins ils en voulaient. En Pennsylvanie, au contraire, les entreprises ont commencé à creuser. Le discours politique ambiant louait les conséquences positives pour l’économie et l’emploi… Quelques années plus tard, 2/3 des habitants sont résolument contre le gaz de schiste alors même que cet Etat est gravement touché par le chômage (son taux de chômage est le 49e plus élevé sur 50 Etats américains). De nombreuses personnes ne sont plus sensibles au discours économique qui implique la destruction des territoires.

Dans Gasland 2, vous dénoncez le pouvoir des lobbies et l’influence qu’ils exercent dans les plus hautes sphères du pouvoir politique. Croyez-vous que la question du gaz de schiste a ébranlé la confiance des citoyens en la démocratie ?

Gasland décrivait les conséquences de l’exploitation du gaz de schiste par la fracturation hydraulique, la contamination de l’air, de l’eau, de la terre. Gasland 2 démontre la contamination de la démocratie. Je ne crois malheureusement pas pour l’instant que c’est la politique qui nous permettra d’engager cette transition énergétique : les intérêts des industries pétrolières sont représentés actuellement à tous les niveaux, de la commune, du gouvernement de chaque Etat fédéral jusqu’à l’administration Obama. Toutes les études scientifiques qui décrivaient ces dernières années les répercutions environnementales de l’industrie gazière et pétrolière ont été démantelées et étouffées. Le pouvoir d’influence de ces grandes entreprises confisque le droit de chaque citoyen a être représenté et à faire ses propres choix de société. Les forces conservatrices, je veux dire, l’industrie du pétrole et du gaz, veulent coûte que coûte rester au pouvoir et feront tout pour rester au pouvoir.

Dans ce contexte, je crois moi que ce sont les gens qui pourront faire bouger les choses, en écoutant leur instinct et en agissant grâce à des manifestations, la désobéissance civile, des actions directes. Ce sont les actions et les campagnes sur le terrain qui ont permis d’interdire la fracturation hydraulique, comme en France. Et c’est aussi une manière de dire aux gouvernements, « vous n’avez pas l’autorité morale, vous avez été corrompus par l’industrie et les intérêts privés ».

Il est donc temps que les gens s’organisent de leur côté, démocratiquement, pour dénoncer ces conflits d’intérêts et s’opposer aux agissements des entreprises pétrolières. Le parti démocrate qui est le plus progressiste est aussi majoritaire dans les urnes… ce parti doit se réveiller et comprendre que leurs électeurs sont entrain de radicalement s’opposer aux énergies fossiles. Et je pense que ce sujet est plein de promesses pour les démocrates. En construisant une alternative à ces énergies, ils tracent un avenir pour les citoyens. C’est la démocratie qui est en jeu : les questions énergétiques doivent absolument revenir dans un champ démocratique.

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